Un notaire peut-il être jugé responsable d’une erreur de superficie ?
En juin dernier, le site du journal Investir (Les Échos) a fait paraître un article intitulé « Les conseils du notaire ne s’arrêtent pas après la signature du compromis de vente » (article accessible ici). MoneyVox a également relayé cette même information (ici).
Contexte de cet article
Ces articles relatent que la Cour de Cassation a, dans cette affaire, récemment statué que le notaire pourrait être tenu responsable en cas d’erreur concernant la surface d’un logement, même s’il n’a pas participé à la rédaction du compromis de vente (Cass. Civ 1, 7.6.2023, P 21-23.142).
Ce compromis (visiblement signé sous seing privé c’est à dire directement entre vendeur et acquéreur) actait l’accord des deux parties sur le prix et le bien vendu, dont la surface est une caractéristique majeure.
Selon ces articles, la surface de l’appartement objet de la vente, s’est avérée inférieure à celle indiquée dans l’acte de vente et le notaire, à qui l’acquéreur demandait des indemnités, a rejeté toute responsabilité. Il a affirmé que son rôle se limitait à authentifier officiellement les informations fournies dans le compromis par le vendeur et l’acheteur avant qu’ils ne fassent appel à lui.
Toujours selon le notaire, une fois que les deux parties ont demandé la rédaction d’un acte de vente authentique, la vente, conclue par leur accord mutuel sur le bien et le prix, était parfaite et il n’était plus nécessaire de donner de conseils à ce sujet.
Cependant, la Cour de cassation a corrigé cette interprétation, affirmant que le notaire a l’obligation d’informer les parties et de garantir la validité et l’efficacité des actes qu’il rédige.
Par conséquent, le notaire ne peut pas prétendre qu’il n’a fait que donner un caractère officiel à un accord auquel il n’aurait pas participé et affirmer qu’il n’aurait aucune responsabilité en cas d’erreurs.
En principe et selon l’arrêt de la Cour de Cassation, l’acquéreur de l’appartement est donc juridiquement tout à fait en capacité de lui réclamer des indemnités.
Approfondissons un peu ce qui se cache derrière cet arrêt de la cour de Cassation
À la lecture de cet article, je me suis tout de même interrogé sur comment il pouvait être reproché à un notaire une erreur de superficie. Un diagnostic loi Carrez avait-il été fournit ? De combien de % ou de m2 était l’erreur constaté par la justice. Comment pourrait-il être reproché à un notaire cette erreur de superficie puisque ceux-ci ne se déplacent généralement par sur place.
J’ai donc retrouvé l’arrêt de la Cour de Cassation correspondant. Si vous souhaitez le lire, il est disponible ici.
Il s’agit donc d’un pourvoi en Cassation suite à un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux rendu le le 27 avril 2021. Texte disponible ici.
On y trouve le contexte précis du litige que voici résumé ci-dessous.
En juillet 2005, Madame G. a ainsi fait l’acquisition d’un appartement décrit comme un local d’habitation de type T3 d’une superficie de 57,42m2 comprenant 2 chambres dont 1 en mezzanine pour un prix total de 110 000€.
Or, il s’est avéré, a posteriori, que le vendeur avait annexé les combles des parties communes en créant un escalier, une chambre sous combles et en installant deux velux pour agrandir son appartement.
Madame G., une fois devenue propriétaire, s’est visiblement vu demander par la copropriété de restituer cette emprise sur les parties communes et de les remettre en état.
L’acquéreur (Madame G.) s’est donc retrouvé à avoir acheté un appartement d’une superficie inférieure à celle portée sur les actes notariés et donc d’une valeur inférieure au prix payé.
C’est dans ces conditions que Madame G. a saisi la justice pour demander réparation non seulement au vendeur mais également au notaire à l’origine de la vente.
Mais, comment le notaire, aurait-il pu savoir que le vendeur s’est accaparé des parties communes ?
En fait, la justice indique que « sans avoir besoin de se déplacer sur les lieux, la différence de superficie du bien entre l’acte d’acquisition du vendeur et l’offre de vente faite à Madame G. aurait du interpeller le notaire et l’amener à interroger le vendeur et son notaire »
Ainsi, la justice considère qu’en ne le faisant pas, le notaire a manqué à son obligation de conseil et n’a pas garanti la validité et l’efficacité de son acte et exposé sa cliente aux conséquences dommageables qui ont suivi.
Ma conclusion
Les articles d’Investir et de MoneyVox sont, selon moi, un peu trompeur. Ils laissent penser que le notaire est, de manière générale, responsable en cas d’erreur de superficie.
Or, on l’a bien vu, l’arrêt de la Cour de Cassation porte sur un cas relativement spécifique puisque le vendeur s’était accaparé des parties communes sans autorisation.
Son acte d’acquisition et l’acte de vente avaient donc des superficies sensiblement différentes qui auraient dû alerter le notaire ce qui n’a pas été le cas.
Dans ce cas précis, on peut donc à mon avis comprendre que la responsabilité du notaire soit mise en cause.
Il ne s’agit pas d’une « simple » erreur de mesurage dont les diagnostiqueurs ont aujourd’hui la responsabilité et dont je ne vois pas comment un notaire pourrait être responsable.
Conclusion : attention aux raccourcis de certains articles ! 😉
Sources
- Article de Investir
- Article de MoneyVox
- Arrêt de la cour de Cassation (7 juin 2023) – Cass. Civ 1, 7.6.2023, P 21-23.142
- Arrêt de la cour d’appel de Bordeaux (27 avril 2021)
Alex, passionné par l’immobilier. Je partage sur ce blog les informations qui me semblent pertinentes et qui sont le fruit de mes propres interrogations, recherches et découvertes. En perpétuel apprentissage dans ce domaine, mon but est de démystifier le processus d’achat immobilier auprès du plus grand nombre.